Comment surmonter l’annonce du handicap ?
« Il faut faire le deuil de l’enfant dont on rêve tous. Se dire : on ne le guérira pas mais on l’aidera à progresser. Et pour y parvenir, il faut d’abord en parler ». Aurélie Theil
Pour les parents d’Ernest, l’annonce du handicap a été faite par le neuropédiatre qui suivait leur fils depuis déjà neuf mois. Une phrase qu’ils n’oublieront jamais : « Cela va être très lourd ». Aurélie et Jean-Marie devront patienter encore neuf mois avant qu’une analyse génétique effectuée à partir d’une prise de sang de tous les membres de la famille confirme l’identité de la maladie de l’enfant : l’IDIC 15, une isodicentrie marqueur du chromosome 15.
« Quand le diagnostic tombe », se souvient Aurélie, « C’est un tsunami à l’intérieur de soi-même, mais aussi un terrible bouleversement pour ses proches. À la manière d’un cercle qui s’agrandit, la nouvelle touche vos voisins, vos amis, vos collègues de travail. Tous ceux qui vous aiment et qui vous connaissent, sans épargner personne ».
Pour Aurélie, le premier des soutiens à apporter aux parents confrontés à cette maladie génétique rare est d’abord affectif, émotionnel pour soutenir leur moral. « On se retrouve au fond d’un gouffre. Il faut maintenant trouver la force de remonter la pente pour surmonter un mur de difficultés », dit-elle.
Comment calmer la peur de l’inconnu avec toutes ces questions sans réponse : mon enfant va-t-il bien grandir, va-t-il marcher, parler ? L’inclinaison est forte de céder à l’enfermement sur soi, au mutisme. « La chance est que cette maladie n’est pas dégénérative », explique Aurélie. « Cela veut dire que le syndrome ne progresse pas tout seul en aggravant les symptômes, mais, en même temps, si on ne stimule pas notre enfant, si on ne fait rien, il ne progresse pas non plus comme il devrait progresser ».
Il faut donc trouver la force de surmonter sa peine, ses peurs, son désespoir, pour passer à l’action. « Il faut faire le deuil de l’enfant dont on rêve tous, faire aussi le deuil d’une vie, des projets qu’on avait dans la tête. Se dire : on ne le guérira pas mais on l’aidera à progresser »
Aurélie dit qu’elle s’est extraite assez vite, quelques semaines, du gouffre où l’avait plongé l’annonce de la maladie de son enfant. Elle aurait pu avec Jean-Marie, son compagnon, choisir de placer Ernest dans une structure pour le reste de sa vie.
Le couple a choisi de garder Ernest à la maison, avec sa grande sœur. Pour cela, la famille a dû repenser son mode de vie. Aurélie est devenue, selon ses mots, « une maman lionne » qui se surprend du vocabulaire guerrier qu’elle utilise pour décrire un combat quotidien. Un combat qui n’est pas inutile. « Il y a deux ans, je vous aurais dit : Ernest ne marchera jamais. Aujourd’hui il marche ».
Dès les premiers symptômes, Aurélie s’est lancée à corps perdu dans la bataille. Cadre commerciale, elle enchaînait les séances de kinésithérapie avec son bébé pendant les pauses déjeuner pour le stimuler. « Mais j’ai très vite réalisé qu’il me fallait de l’aide, un soutien plus large ».
C’est pour offrir une aide la plus complète possible aux familles impactées par cette maladie que l’association l’Everest d’Ernest a été créée mais aussi pour décrire le monde parallèle du handicap et mobiliser l’opinion.
La première étape à surmonter est de pouvoir parler de son enfant aux autres sans gêne, ni retenue. « Il faut affronter plein de questions de la part de ceux qui ignorent tout de la maladie. Il faut souvent se répéter et cela demande de la force et de la solidité ».
Le second soutien indispensable aux familles est l’échange d’informations utiles. Il s’agit de faire un point régulier et actualisé sur cette maladie génétique rare qui touche une personne sur 30 000. (appel de note pour indiquer la source de ce chiffre et ce qu’il représente en France, dans le monde ? ). Pour les familles concernées, il est très important de savoir où en sont les recherches sur les mécanismes de l’IDIC 15, sur les traitements en cours et les médicaments utilisés.
Multiplier les contacts permet d’échanger des adresses très utiles dans son secteur géographique : celle d’un neuropédiatre, le seul médecin vraiment qualifié pour diagnostiquer la maladie, mais aussi celle d’un dentiste, d’un ophtalmologiste ou d’un orthophoniste qui ont la pratique et la connaissance de ces cas.
Le troisième soutien est financier. Jusqu’à sa 6ème année, Aurélie et Jean Marie qui sont cadres commerciaux ont financé avec leurs fonds propres 12 séjours thérapeutiques dans un centre spécialisé en Bretagne et en Espagne. Le coût de chaque thérapie avoisine les 4000€. « Ces séjours ont été très bénéfiques à Ernest, dit Aurélie, « Après la première thérapie, mon enfant a réussi à lever la tête. Après plusieurs séjours, il a réussi à marcher ».
Faute de subvention publique, l’association L’Everest d’Ernest ne dispose pas de moyens financiers illimités mais elle se démène pour trouver des fonds afin de donner « un petit coup de pouce » aux familles qui souhaitent confier leur enfant à un institut privé, en France ou à l’étranger.
C’est ainsi que le deuxième dimanche de septembre un festival est organisé à Rueil Malmaison (www.leverestival.com) au profit des victimes de l’IDIC 15. En 2019, l’évènement a rassemblé 2500 personnes et permis de récolter des fonds qui ont pu aider chaque famille à hauteur de 2500 € pour financer une thérapie en France et à l’étranger.
« Mais ce n’est qu’un coup de pouce, explique Aurélie. C’est pourquoi nous expliquons aux familles comment créer elles aussi des évènements. Le but est de se faire connaitre, d’expliquer la maladie et de déclencher un mouvement de solidarité pour lutter avec un maximum d’efficacité ».
Les symptômes dans le quotidien
« Ce n’est pas tellement au niveau émotionnel que je me sens fatigué, c’est plus de la fatigue physique. On est constamment en action, toujours derrière Ernest pour le porter, l’habiller, le changer, le baigner… » Jean- Marie Tan, le père d’Ernest.
Le syndrome du chromosome 15 isodicentrique est une maladie génétique rare. Elle entraîne un retard de développement, un déficit intellectuel, des crises d’épilepsie, des troubles du spectre autistique et un comportement social inhabituel. Des symptômes multiples et complexes qui mènent la vie dure à ceux qui en sont touchés.
Quatre symptômes caractérisent l’IDIC 15 :
- Une déficience intellectuelle qui peut être très modérée et jusqu’à sévère,
- Un retard moteur,
- Des troubles du spectre autistique,
- Épilepsie.
Tous ces symptômes varient en fonction de la gravité de la maladie. L’épilepsie frappe 70% des malades. C’est de loin le symptôme le plus grave car il peut provoquer la mort subite et inexpliquée du nourrisson. Absences, convulsions, un enfant souffrant de cette maladie peut cumuler jusqu’à 10 crises d’épilepsie par jour.
Qu’ils soient chacun de nature modérée ou sévère, la cohabitation de ces 4 symptômes implique une prise en charge lourde des enfants. Les soins sont pratiqués par des professionnels de santé mais leur complexité fait qu’ils doivent être complétés au quotidien par les parents qui ont choisi de garder leur enfant auprès d’eux.
« Psychologique, émotionnelle, organisationnelle, thérapeutique, on a malheureusement tant de charges quand on a un enfant handicapé », dit la maman de Maëlys. « Et ce sont les parents les plus affectés qui doivent militer, mener le combat pour les droits de leurs enfants. C’est la double peine ».
Ernest, 6 ans, a été nourri par une sonde pendant 18 mois. Aujourd’hui il s’alimente de purées confectionnées et dosées au milligramme près par ses parents en fonction de sa prise de poids. « Infirmière, diététicienne, kinésithérapeute, orthophoniste, nous apprenons tous ces métiers au fur et à mesure car le relai, c’est nous », dit Aurélie. Ernest se tient debout, il marche mais il ne parle pas. La communication avec ses proches passe par les signes que l’enfant émet et qui expriment deux informations : l’état de confort ou d’inconfort à l’instant T. Ernest fait des nuits au timing très aléatoires. Elles peuvent se terminer à 1 heure du matin.
Les prises en charge
Bien qu’elles reconnaissent la bienveillance et le dévouement du personnel soignant à leur égard, les familles expriment un certain nombre de griefs sur la prise en charge médicale d’une personne atteinte de l’IDIC 15. « Il y a plein de formes de handicap dont les maladies rares. Nous, nous cumulons la maladie rare plus toutes les formes du handicap et cela veut dire des familles qui vont galérer un peu plus » dit Maïté Abadie qui résume la situation en une phrase : « Bienvenue dans le monde parallèle du handicap ».
La maman de la petite Maëlys se souvient qu’à la naissance de sa fille, en 2014, elle a pénétré dans un univers totalement inconnu pour elle « parce que je ne connaissais pas de cas dans mon entourage très proche. C’est un monde caché. On n’en parle pas et il est d’une très grande complexité ».
Aurélie Theil, la maman d’Ernest, fait le même constat : « Il est très difficile d’obtenir une prise en charge complète parfaitement adaptée à son enfant ».
Des soins incomplets
Les familles dénoncent une prise en charge incomplète de leurs enfants dans des établissements pourtant présentés officiellement comme prenant en compte toute la complexité et spécificité de leur situation.
« En réalité, si un établissement accueille les polyhandicapés, il va refuser votre enfant parce qu’il souffre aussi d’autisme. Si l’établissement accueille les personnes autistes, il va vous refuser à cause du polyhandicap ». C’est ainsi qu’une mère d’un enfant est contrainte de financer à ses frais un accompagnateur à sa petite fille dans l’école qui l’accueille trois jours par semaine, à raison de deux heures. « C’était cela où ma fille n’allait jamais à l’école ».
Les parents s’étonnent de soins inadaptés. « Un kinésithérapeute pour un enfant qui n’a jamais marché, un orthophoniste pour enfant qui n’a jamais parlé. Des réponses globales à des cas très particuliers ».
Ils dénoncent des thérapies programmées dans le protocole de soins reportés pour cause d’épuisement de budget.
Ils s’inquiètent aussi du manque chronique de soignants qu’ils expliquent par des salaires trop peu attractifs et une crise des vocations. Ils constatent enfin une grosse carence de formation. « Il existe des méthodes de communication avec les enfants handicapés reconnues dans le monde qui sont ignorées dans les établissements publics. À l’accueil, sur le papier, le projet thérapeutique semble magnifique mais en réalité on a des jeunes qui sortent tout juste des études qui se font la main et qui ressortent épuisés au bout de trois ans », dit une maman. Elle ajoute :
« On pourrait faire 100 fois plus si on avait les personnels compétents. Je me suis formée et je suis plus compétente que les personnels qui s’occupent de ma fille »
Enfin, les familles dénoncent l’absence de droits concernant le remboursement des soins prodigués à leurs enfants. « Quand votre enfant est pris en charge par un Institut médico éducatif (IME), du fait qu’elle bénéficie du financement de l’État, cette structure a l’obligation de mettre en place tous les soins pour les enfants : kinésithérapie, rééducation, éducation spécialisée. En contrepartie, les familles ne sont plus remboursées par la sécurité sociale ou la mutuelle sur tous les soins pratiqués au sein de l’institut. La réalité est que ces établissements ont souvent du mal à recruter du personnel qualifié. Nous devons alors demander une dérogation mais celle-ci dépend de l’accord de l’établissement qui a bien du mal à reconnaitre ses lacunes. En d’autres termes, nos enfants n’ont pas les mêmes droits que les autres ».
L’association référence
« Ma responsabilité en tant que maman, c’est de proposer à ma fille les moyens de se développer au mieux ». Les familles croient à la force, à la puissance des associations avec des parents qui se bougent. Voici trois conseils aux familles touchée Dup15q pour mieux s’orienter « dans le monde parallèle du handicap » :
1. Trouver l’information
Pédiatre, neurologue, urgentiste, orthophoniste, kinésithérapeute, le cloisonnement structurel du milieu médical fait qu’il est très difficile de s’informer sur les soins possibles quand on est brusquement confronté à cette maladie. Quelles sont les thérapies existantes et à quoi servent-t-elles ? sont les deux questions essentielles. La réponse se trouve dans la multiplication des échanges avec des parents qui ont déjà expérimenté une de ces thérapies. Elle passe aussi par une bonne connaissance de la langue anglaise car les publications en Français sur ces maladies sont plutôt rares. Il faut donc « aller explorer le paysage du possible » sur Internet, sur Facebook pour trouver d’autres solutions mises en place à l’étranger.
2. Bien choisir la thérapie de l’instant et sa mise en œuvre
La complexité de la maladie fait qu’il n’existe pas de thérapie meilleure qu’une autre. Il est en revanche tout à fait possible de pratiquer des soins adaptés à l’instant de vie de la personne, en accord avec l’objectif qui est fixé. L’association met en avant son réseau de parents pour échanger les vécus pour désigner la bonne thérapie et le lieu où elle peut être pratiquée.
3. Résoudre la question du financement
Faute d’une prise en charge complète, les parents se tournent vers des instituts privés pour compléter l’offre de soins. Ces séances de thérapie ont un coût très élevé, de l’ordre de 3 000 € par semaine, plus les frais d’hébergement. « Les seuls soins remboursés par la Sécurité sociale et la mutuelle sont l’orthophonie et la kinésithérapie, la psychomotricité et l’ergothérapie ne le sont pas », déplore un parent.
Le contact avec d’autres familles au sein d’une association permet d’échanger des informations fiables et de réfléchir dans un groupe sur les moyens de mobiliser la solidarité du plus grand nombre.
Témoignage
« Mes chers amis, je vous en prie, revenez… »
Je sens bien que le handicap de mon enfant a construit une barrière entre moi et mes amis les plus proches. Je sens bien qu’il y a un malaise entre nous et ce n’est, ni de leur faute, ni de la mienne. C’est l’installation d’un curieux mélange de pudeur et de gêne. Une sorte de liquéfaction des sentiments devant la réalité. Concrètement cela donne des : « Tu viens plus en week-end, je ne te vois plus ». Ou des : « Je ne t’appelle plus pas parce que je sais que tu es débordée ». Ou encore : « Ton enfant, jamais je ne pourrai le garder chez moi. Trop de responsabilités, je ne pourrai pas… » Je souffre de cette souffrance supplémentaire. Comment construire un dialogue avec ses proches dans ces conditions. Notre porte reste ouverte. Mes chers amis, je vous en prie, revenez… Maïté